La Norme SORA 2.5 : Une Analyse Approfondie des Évolutions pour les Opérations de Drones
03.10.2025

Introduction
La méthodologie SORA (Specific Operations Risk Assessment) est, depuis plusieurs années, le pilier de l'évaluation des risques pour les opérations de drones en catégorie « spécifique » en Europe. Conçue pour offrir un cadre standardisé et sécurisé, elle a permis de structurer le développement du secteur. Cependant, l'expérience accumulée a révélé des ambiguïtés, des divergences d'interprétation entre les États membres et des lourdeurs administratives pour les opérateurs. En réponse à ces défis, l'Agence de la sécurité aérienne de l'Union européenne (EASA) a officialisé, par sa Décision 2025/018/R [1], l'adoption de la version 2.5 de la SORA. Cette mise à jour, développée par le groupe d'experts JARUS (Joint Authorities for Rulemaking on Unmanned Systems), vise à simplifier les processus, à renforcer l'harmonisation et à maintenir un niveau de sécurité intransigeant.
Cet article propose une analyse détaillée des changements introduits par la SORA 2.5, en s'appuyant sur les documents officiels et les analyses d'experts du secteur. Nous examinerons les modifications structurelles, les nouvelles approches quantitatives et les implications pratiques pour les opérateurs de drones.
1. Changements Structurels et Méthodologiques : Vers une Clarté Accrue
L'un des reproches récurrents faits à la version 2.0 de la SORA concernait sa complexité structurelle, qui pouvait entraîner des confusions. La version 2.5 introduit des changements significatifs pour améliorer la clarté et la logique du processus d'évaluation des risques.
1.1. Réorganisation Documentaire et Processuelle
La SORA 2.5 propose une documentation plus épurée et une distinction nette entre les exigences obligatoires et les matériaux de guidage (guidance). Le processus de soumission a été standardisé pour garantir la cohérence des dossiers. Désormais, toute application doit inclure de manière explicite :
•Un Manuel d'Opérations (Operations Manual) structuré selon un modèle recommandé.
•Une matrice de conformité (compliance matrix) démontrant l'adéquation avec les exigences.
•Le formulaire de demande officiel.
De plus, le processus est maintenant scindé en deux phases distinctes : une première phase d'établissement des risques et des hypothèses de base, suivie d'une seconde phase de soumission des preuves et du dossier de sécurité complet. Cette approche séquentielle évite aux opérateurs d'engager un travail approfondi sur la base d'hypothèses qui pourraient être invalidées par la suite.
1.2. Une Méthodologie en 10 Étapes
La SORA 2.5 rationalise l'ancienne méthodologie en 11 étapes pour la ramener à un processus en 10 étapes plus logiques. Le changement le plus notable est le positionnement de l'évaluation des mesures de confinement (containment) avant la détermination des Objectifs de Sécurité Opérationnelle (OSO), ce qui correspond mieux à la logique d'une analyse de risque progressive. Le terme de CONOPS (Concept of Operations), jugé trop vague, est remplacé par la notion de "Detailed Operational Information", accompagnée de modèles et de lignes directrices pour guider les opérateurs.
Le tableau suivant résume les changements majeurs dans le flux de travail de la SORA :
Domaine | SORA 2.0 | SORA 2.5 | Impact du Changement |
---|---|---|---|
Structure | 11 étapes, annexes parfois redondantes | 10 étapes, flux logique amélioré | Plus grande clarté et efficacité dans l'analyse. |
Documentation | CONOPS (Concept of Operations) | "Detailed Operational Information" avec templates | Standardisation et aide à la constitution du dossier. |
Processus | Soumission en un bloc | Processus en deux phases (analyse initiale puis preuves) | Réduction du risque de travail inutile pour l'opérateur. |
Logique d'analyse | OSO déterminés avant le confinement | Évaluation du confinement (Étape 8) avant les OSO | Meilleure cohérence dans la construction du dossier de sécurité. |
2. L'Approche Quantitative du Risque au Sol (GRC) : Une Révolution Méthodologique
La SORA 2.5 introduit une révision majeure de l'évaluation du risque au sol (Ground Risk Class - GRC), passant d'une approche majoritairement qualitative à un modèle quantitatif. Cette évolution a pour but d'accroître l'objectivité, la répétabilité et la simplicité du processus d'évaluation [3].
2.1. Un Calcul Basé sur des Données Mesurables
Contrairement à la version 2.0, où la distinction entre les vols en vue directe (VLOS) et hors vue (BVLOS) influençait directement le GRC initial, la SORA 2.5 base son calcul sur des données objectives :
•La vitesse maximale de l'aéronef.
•La densité de population de la zone survolée, en utilisant des cartes de densité multi-temporelles (jour/nuit, heures de pointe) pour refléter la réalité du terrain.
Ce changement signifie que toute réduction du risque doit désormais être obtenue par l'application de mesures de mitigation spécifiques (voir section 3), et non plus par le type de vol.
2.2. La Notion de "Zone Critique" et l'Outil CAAT
Un nouveau concept central est celui de la "zone critique" (critical area), qui correspond à la zone où des personnes pourraient être impactées en cas de défaillance de l'aéronef. Pour aider les opérateurs dans cette évaluation, l'EASA a développé un outil, le Critical Area Assessment Tool (CAAT), qui permet de démontrer que le risque réel est inférieur à celui du modèle standard, en prenant en compte des facteurs spécifiques à l'opération.
2.3. Avantages pour les Petits Drones
La nouvelle méthodologie reconnaît l'innocuité relative des petits drones en leur accordant des allègements significatifs. Cela favorise les opérations à faible risque et réduit la charge réglementaire pour une large part du marché.
Catégorie de Drone | Classe de Risque au Sol (GRC) | Commentaire |
---|---|---|
≤ 250 grammes et ≤ 25 m/s | GRC 1 (le plus bas) | Assignation automatique, reconnaissant le très faible risque inhérent. |
≤ 900 grammes et ≤ 19 m/s | Bénéficie d'exigences allégées | Facilite les opérations pour une catégorie de drones très répandue. |
3. Nouvelles Stratégies de Mitigation et Mise à Jour des OSO
La SORA 2.5 ne se contente pas de redéfinir l'évaluation du risque ; elle restructure également la manière dont les opérateurs peuvent le mitiger et prouver la sécurité de leurs opérations.
3.1. Reclassification des Mesures de Mitigation du Risque au Sol
Les options pour réduire le GRC ont été affinées et réorganisées en quatre catégories distinctes, offrant plus de clarté aux opérateurs sur les stratégies à leur disposition.
Catégorie | Description | Exemple |
---|---|---|
M1A | Sheltering (Abri) | Prouver que la zone d'opération est couverte, protégeant les personnes au sol. |
M1B | Operational Limitations (Limitations Opérationnelles) | Restreindre l'opération à des zones ou des moments où peu de personnes sont présentes. |
M1C | Ground Observation (Observation au Sol) | Utiliser des observateurs pour s'assurer que la zone critique est claire. |
M2 | Impact Reduction (Réduction d'Impact) | Utiliser un système de réduction de l'énergie à l'impact (ex: parachute) ou un aéronef à faible énergie. |
Un changement fondamental est que le Plan de Réponse d'Urgence (Emergency Response Plan - ERP) n'est plus considéré comme une mesure de mitigation du risque (M3 dans SORA 2.0). Il est désormais intégré aux Objectifs de Sécurité Opérationnelle (OSO), ce qui signifie qu'un plan, aussi bon soit-il sur le papier, ne peut plus servir à réduire le niveau de risque initial de l'opération. Cette décision vise à mieux refléter la pratique opérationnelle et à éviter que les opérateurs n'obtiennent un crédit irréaliste pour des plans purement documentaires.
3.2. Rationalisation des Objectifs de Sécurité Opérationnelle (OSO)
Les OSO, qui définissent les objectifs de sécurité à atteindre pour un SAIL (Specific Assurance and Integrity Level) donné, ont également été rationalisés. Leur nombre a été réduit de 24 à 17 en fusionnant les doublons, ce qui simplifie la matrice de conformité. De plus, la mention "Optionnel" a été remplacée par "Non Requis (NR - Not Required)" pour éviter toute ambiguïté.
Une nouveauté importante est l'introduction, dans le tableau des OSO, d'une colonne indiquant la partie responsable de la satisfaction de l'objectif : l'opérateur, le fabricant de l'aéronef, ou l'organisme de formation. Cette clarification est essentielle pour une meilleure répartition des responsabilités au sein de l'écosystème.
3.3. Le Rôle Renforcé du Confinement
Le confinement (containment), qui constitue désormais l'étape 8, joue un rôle plus prépondérant. Son niveau (Faible, Moyen, ou Élevé) est déterminé en fonction de la vitesse de l'aéronef, de la densité de population des zones adjacentes, et du SAIL de l'opération. Cette approche standardisée permet une évaluation plus cohérente des risques de perte de contrôle de l'aéronef.
4. Risque Aérien et Perspectives Futures
Il est important de noter que si le risque au sol a été profondément remanié, l'évaluation du risque aérien (Air Risk Class - ARC) reste, pour l'instant, largement inchangée dans la SORA 2.5. Le cadre existant est maintenu, car le développement d'un modèle quantitatif pour le risque aérien est une entreprise complexe qui nécessite davantage de temps et de données.
L'EASA et JARUS prévoient d'introduire une mise à jour de cette section dans une future itération, la SORA 3.0, dont la publication est envisagée à l'horizon 2027. Les opérateurs devront donc continuer à utiliser la méthodologie actuelle pour l'évaluation du risque de collision avec d'autres aéronefs.
5. Implications pour les Opérateurs et Période de Transition
L'entrée en vigueur immédiate de la SORA 2.5 soulève des questions pratiques pour les opérateurs de drones.
5.1. Mise à Jour des Dossiers et Méthodologies
Les opérateurs doivent dès à présent intégrer les nouvelles exigences dans leurs processus internes. Cela inclut la mise à jour de leurs manuels d'exploitation, de leurs analyses de risques et de leurs dossiers de sécurité pour refléter les changements méthodologiques, notamment l'approche quantitative du GRC et la nouvelle structure des OSO. Pour les nouvelles demandes d'autorisation, l'utilisation de la SORA 2.5 est obligatoire.
5.2. Transition pour les Autorisations Existantes
La question de la transition pour les opérateurs détenant déjà une autorisation basée sur la SORA 2.0 reste un point à clarifier par les autorités nationales. Il est probable que les opérateurs ne seront pas tenus de mettre à jour immédiatement leurs dossiers existants, mais devront se conformer à la SORA 2.5 lors du renouvellement ou de la modification de leur autorisation. Il est cependant conseillé d'anticiper ces changements, notamment si une nouvelle opération présente des caractéristiques (faible risque, zone peu dense) qui pourraient bénéficier des allègements de la nouvelle version.
Conclusion
La SORA 2.5 marque une étape de maturité pour la réglementation des drones en Europe. En passant d'une approche qualitative à un modèle plus quantitatif et objectif pour le risque au sol, l'EASA et JARUS ont répondu aux retours d'expérience du secteur. Cette nouvelle version promet de réduire la charge administrative pour les opérations à faible risque, tout en clarifiant les exigences et en favorisant une application plus harmonisée de la réglementation à travers l'Europe.
Si le statu quo sur le risque aérien laisse entrevoir de futurs chantiers, la SORA 2.5 offre dès aujourd'hui un cadre plus clair, plus juste et plus efficace. Elle devrait permettre de soutenir la croissance et l'innovation dans le secteur des drones, en assurant que la sécurité, principe fondamental de l'aviation, reste la priorité absolue.
Références
[1] EASA. (2025). ED Decision 2025/018/R. Consulté sur https://www.easa.europa.eu/en/document-library/agency-decisions/ed-decision-2025018r